Le tourisme international peut-il être équitable? - Association québécoise du commerce équitable
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Le tourisme international peut-il être équitable?

Le tourisme international peut-il être équitable?

par Loïc de Fabritus, chargé de projets à l'Association québécoise du commerce équitable

Lorsqu’on évoque le commerce équitable, on pense généralement à un échange de biens produits dans les pays du Sud et consommés dans les pays du Nord. Il existe pourtant un secteur économique dans lequel ce sont plutôt les habitants des pays du Nord qui se rendent dans les pays du Sud… je veux bien sûr parler de l’industrie touristique. On estime que le tourisme international représentait 1,2 milliards de voyages en 2016, en hausse de 4% par rapport à l’année précédente, et plus de 10% du PIB mondial. Et les Canadiens sont de grands voyageurs avec plus de 32 millions de voyages par année, et des dépenses excédant les 37 milliards de dollars (données tirées du site du Réseau de veille en tourisme de la Chaire de tourisme Transat de l’ESG UQÀM). Mais quelle place le commerce équitable peut-il avoir dans cette industrie en pleine croissance?

Tourisme durable contre tourisme de masse : vers un tourisme plus éthique

L’explosion du tourisme international au cours des dernières décennies ne s’est pas faite sans dommages, tant pour l’environnement et le patrimoine culturel, que pour les populations locales. Un petit nombre de tours opérateurs occidentaux très puissants imposent désormais leurs règles, leurs prix, et souvent leurs standards marketing aux pays d’accueil et aux prestataires de services locaux, tout comme à leurs clients. Et si le tourisme peut représenter une source de revenus importante pour les économies émergentes, la distribution des retombées économiques ne profite pas nécessairement à tous. Cette « marchandisation » des voyages a généré de nombreux effets négatifs : conditions de travail indignes, exploitation des enfants, tourisme sexuel, destruction des écosystèmes, dégradation du patrimoine culturel, etc. Les conséquences du tourisme de masse peuvent être dévastatrices pour les communautés d’accueil.

Un touriste et un local sur une plage de Zanzibar (source: Wikimedia Commons)

Pourtant, depuis la fin des années 1990, et dans la foulée du rapport Brundtland publié par la commission des Nations-Unies pour l’environnement et le développement, la notion de tourisme durable a pris de l’ampleur. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) le définit comme suit : « Le développement touristique durable satisfait les besoins actuels des touristes et des régions d’accueil tout en protégeant et en améliorant les perspectives pour l’avenir. Il est vu comme menant à la gestion de toutes les ressources de telle sorte que les besoins économiques, sociaux et esthétiques puissent être satisfaits tout en maintenant l’intégrité culturelle, les processus écologiques essentiels, la diversité biologique, et les systèmes vivants. »

Pour de plus en plus de touristes, voyager autrement est aujourd’hui devenu un impératif. Il ne s’agit plus seulement de sortir des sentiers battus, mais bel et bien d’avoir un impact positif et à long terme pour les communautés locales et leur environnement.

Écotourisme, tourisme solidaire, « volontourisme » : quelle est la différence?

L’écotourisme, également appelé tourisme vert, est une forme de tourisme plus centrée sur la découverte de la nature, qui cherche à réduire son empreinte écologique. Le tourisme solidaire est également une forme alternative de voyage, fondé sur le respect de la personne, des cultures et de la nature avec l’objectif de profiter directement aux pays du Sud, en valorisant les ressources et le patrimoine locaux. Le tourisme équitable et solidaire se situe au croisement de ces différentes évolutions du tourisme vers des alternatives plus éthiques, respectueuses de l’humain et de l’environnement.

Mais certaines agences de voyages, de plus en plus nombreuses, vont aujourd’hui jusqu’à proposer des voyages « humanitaires », qu’on qualifie aussi parfois de « volontourisme » : ce sont des séjours qui consistent à partir quelques semaines dans une communauté défavorisée du Sud pour aller « aider » à réaliser des projets de développement. Cette pratique est fortement décriée non seulement pour son manque de transparence et d’encadrement, mais aussi tout simplement parce qu’elle permet à certaines compagnies de faire beaucoup d’argent sur le dos de communautés qui ne reçoivent presque rien en retour et contribuent à renforcer le cliché du « sauveur blanc » et une vision néocoloniale de l’aide au développement, ce qui peut nuire à l’image des programmes d’initiation à la coopération internationale, comme l’illustre cet article de blog.

3 piliers du tourisme équitable et solidaire

Les principes du commerce équitable ont donc toute leur pertinence dans l’industrie touristique. Trade, not aid, disait-on déjà dans les années 1960. Une charte du tourisme équitable a été développée en France à partir du début des années 2000, à l’initiative de la Plateforme pour la commerce équitable (PFCE), qui le définit ainsi :

« Le tourisme équitable est un ensemble d’activités et de services, proposé par des opérateurs touristiques à des voyageurs responsables, et élaboré par les communautés d’accueil autochtones (ou tout au moins en grande partie avec elles). Ces communautés participent de façon prépondérante à l’évolution de la définition de ces activités (possibilité de les modifier, de les réorienter, de les arrêter). Elles participent aussi à leur gestion continue de façon significative (en limitant au maximum les intermédiaires n’adhérant pas à ces principes du tourisme équitable). Les bénéfices sociaux, culturels et financiers de ces activités doivent être perçus en grande partie localement, et équitablement partagés entre les membres de la population autochtone. »

Le tourisme équitable et solidaire résulte d’une véritable harmonie entre les personnes, les cultures et l’environnement. Pour répondre à ces engagements, le tourisme équitable et solidaire repose sur trois piliers : le commerce équitable, la solidarité internationale et l’économie sociale et solidaire.

Le commerce équitable se définit par un partenariat fondé sur le dialogue, la transparence et le respect afin d’atteindre une meilleure équité dans l’échange commercial. Il permet la mise en place d’un développement durable qui offre de meilleures conditions commerciales et garantit les droits des petits producteurs. Appliqué au tourisme, le commerce équitable établit un partenariat équilibré entre le voyagiste et ses partenaires locaux qui bénéficient ainsi d’une rémunération juste. Grâce à cette démarche, l’accueil des voyageurs constitue une opportunité de générer une source de revenus complémentaires aux activités quotidiennes des populations locales.

La solidarité internationale constitue la prise en compte et la compréhension des inégalités entre pays pour rechercher, en concertation, des solutions. Elle s’illustre par l’action des ONG (organisations non gouvernementales), des organisations internationales et par l’aide au développement (privée et publique). Le voyageur solidaire devient un maillon de cette chaîne en privilégiant le recours à des prestataires locaux lors de son voyage (restaurants, transports, artisans, hébergement…) et grâce à la part du prix de son séjour consacrée au financement de projets de développement dans le pays de destination.

L’économie sociale et solidaire (ESS) défend une manière d’entreprendre innovante, axée sur les profits sociaux (insertion par l’activité économique, développement durable, mutualisation de services et de moyens, etc.) plus que sur les seuls profits économiques. Grâce à un fonctionnement collectif, juste et démocratique, les bénéfices générés par les structures de l’ESS sont réinvestis en priorité dans des projets d’utilité sociale. Les voyagistes du tourisme équitable et solidaire, par leur choix de gouvernance, font partie intégrante de l’ESS et allient ainsi performance économique et utilité sociale. La dimension économique et sociale dans le tourisme solidaire, c’est aussi la garantie d’une relation transparente entre le voyageur et le voyagiste.

Quelles garanties pour le tourisme équitable et solidaire?

Si les principes semblent prometteurs, difficile de savoir vers qui se tourner lorsque vient le temps d’organiser son voyage.

Illustration réalisée par Claire Robert pour l’Association pour un tourisme équitable et solidaire (http://www.tourismesolidaire.org/)

En France, l’Association pour un tourisme équitable et solidaire (ATES) a été créée en 2006. Elle regroupe des voyagistes, des opérateurs relais et des membres associés, tous engagés pour faire du voyage un levier de développement et de solidarité internationale. Cette association a créé un label, la Garantie tourisme équitable et solidaire, avec un système de d’évaluation basée sur un ensemble de critères et d’indicateurs, organisés autour de trois axes fondamentaux :

  1. La relation avec les partenaires accueillants et l’organisation des voyages
    • L’opérateur organise ses séjours en partenariat avec les populations locales qui sont au cœur du processus d’accueil. Il favorise ainsi la rencontre et l’échange dans la conception de ses voyages.
    • Il choisit en priorité des partenaires organisés autour de projets de développement bénéficiant à la collectivité.
    • Il organise ses voyages de manière à maximiser l’impact sur l’économie locale des territoires d’accueil, dans le respect de leurs équilibres économiques, sociaux et environnementaux.
  2. Les engagements en faveur du développement local
    • L’opérateur organise son fonctionnement et fixe le prix de ses voyages de manière à dégager des ressources affectées à un fonds de développement. Ce fonds est alloué aux populations d’accueil de ses destinations.
  3. La sensibilisation du voyageur, la transparence et la communication
    • L’opérateur informe et sensibilise ses voyageurs sur les principes du voyage solidaire et sur chacune de ses destinations (situation économique, sociale et culturelle, règles de savoir-vivre, situation environnementale).
    • L’opérateur met à disposition du voyageur la répartition du prix de ses voyages.
    • L’opérateur informe les voyageurs sur ses actions de développement et de préservation de l’environnement.
    • L’opérateur milite pour le tourisme équitable et solidaire et le respect de ses principes. Il s’engage à promouvoir le réseau ATES.

En Belgique, le Trade for Development Centre appuie plusieurs projets en tourisme équitable. Parmi ceux-ci, une organisation africaine a également développé son propre système de certification appelé Fair Trade Tourism, qui repose sur un ensemble de critères ayant pour objectif de garantir des conditions de travail et des salaires justes, des opérations, des achats et une répartition des profits équitables, des pratiques commerciales éthiques, et le respect des droits de l’homme, de la culture et de l’environnement.

Au Québec enfin, différents organismes proposent des initiatives en matière de tourisme éthique, équitable et solidaire. L’organisation Village Monde fait la promotion du tourisme villageois, équitable et solidaire, à travers son processus de labellisation qui permet d’évaluer différentes destination selon des critères de qualité et favorise les connections entre les voyageurs et les communautés. Plusieurs agences de voyages basées à Montréal, telles que Karavaniers ou Passion Terre, travaillent également selon les principes du tourisme durable et du commerce équitable.

Alors, pour vos prochaines vacances à l’international, choisissez équitable!

Vous connaissez d’autres initiatives en tourisme équitable? Partagez-les avec nous!